Il était une fois, dans un petit village très lointain, un vieil homme qui vivait avec son épouse. Il s’appelait Abdessabour, mais les gens du village ne l’appelaient que Saber, pour faire plus court. Le temps avait laissé ses traces sur ce bonhomme, aimé de tous, le dos courbé par le poids des années, le visage serein et sage … Saber avait touché à tous les métiers du monde rural pour subvenir aux besoins de sa famille. Quatre enfants, qui ne le sont plus avec le temps (deux hommes et deux femmes à présent) tous fuirent en ville où ils ont fondé à leur tour leurs petits nids douillets..
Saber allait tous les matins à la forêt après sa prière, chercher du bois pour fabriquer des chaises, des tables et les vendre au souk le plus proche.
Un beau jour, il découvrit une chose merveilleuse qui allait lui changer la vie qu’il menait. Sur le chemin, près des buissons il vit…. UN PANIER flambant neuf, énorme, qu’éclairaient les rayons du soleil si généreux dans ce pays et lui donnaient un aspect féerique … Une véritable apparition pour le vieil homme qui n’en croyait pas ses yeux… Il s’approcha comme on s’approche d’une relique ou d’un graal sacré, doucement le fixant avec des gros yeux. Il se dit:
“C’est impossible ! Quelle beauté ce panier ! Quel travail ! (il parlait en connaisseur lui qui avait déjà tressé des paniers étant petit.)
« Mais à qui est ce ? Je dois attendre ici pour voir l’artisan ! On a dû l’oublier ! Mais il n’y a personne au village qui sache travailler ceci ! Un étranger peut être ?!! »
Mille et une questions tourbillonnaient dans sa tête lui donnant des vertiges…
Il décida de rester près du panier et d’attendre.
Il y demeura ainsi toute la journée. Rentrant à la maison les mains vides …mais l’esprit complètement retourné. Il était trop pieux pour le prendre. Ce n’est pas à lui …Le trouvera t- il demain matin ? Viendra- t- on le chercher ?
C’est bien avant l’imam que Saber se leva ce matin-là, il se tourna vers Dieu et l’implora de tout son cœur de retrouver le panier… Il était comme ensorcelé, une légère fièvre l’habitait, et il ne pensait plus qu’à ça …. Il pria, et sortit aussitôt. Il courrait sans s’en rendre compte, lorsqu’ il fut très près de l’endroit, son cœur battait à pleine vitesse et ses jambes ne le tenaient plus…il écarquilla les yeux pour mieux voir, vu que le soleil n’avait pas encore eu le temps de le rattraper et se levait paresseux, trop paresseux pour Saber…
Soudain ! Il le vit ! Il était là ! Comme un trophée, comme le trône d’un roi sans royaume…. Il s’assit et commença à le toucher et à contempler la précision des nattes si petites, si régulières et si fines …Quelle dextérité !
Il se mit à lui parler…à le questionner comme un fou… Il sait que Dieu lui avait envoyé ce présent, pour lui …
Il y resta encore pour la journée à parler, raconter ses malheurs, sa tristesse, comme à un ami… Et ceci pendant des jours….
Il ne travaillait plus, se renfermait sur lui un peu plus chaque jour… Les gens du village se faisaient du mauvais sang pour lui…
Qu’avait donc Saber?
Il ne voulait plus qu’on retrouve ce panier, il était à lui, et à lui seul, c’était son secret. Il décida donc de le cacher jalousement sous des feuillages ; comme personne ne s’était présenté pour le réclamer …il lui appartenait désormais ce panier!
Chaque jour, on le voyait gambader comme un enfant vers la forêt, on croyait qu’il était possédé par un démon ou une créature maléfique car il maigrissait à vue d’œil…ça le rajeunissait, il avait bien changé, lui qui ne quittait pas les voisins, était toujours souriant, jouait avec les enfants, aidait son prochain … En particuliers la veuve de son meilleur ami mort devant ses yeux, tué sur le coup par la chute d’un arbre .Elle s’appelait Jenna (paradis). La pauvre femme, jeune encore n’avait plus de quoi nourrir ses enfants, deux petits anges dont s’occupait secrètement Saber en déposant des paquets de nourriture près de la porte la nuit tombée. Mais même elle, il l’oublia, il était tourné vers ce panier à qui, il racontait tout. Il craignait de le ramener à la maison et de s’attirer les foudres de sa femme qui lui avait déjà détruit sa collection de boîtes d’allumettes si chère à ses yeux … Il raconta à son panier comment il avait réuni des dizaines de belles petites boîtes venues de la ville avec des images qui le faisaient rêver. Leurs paysages le faisaient voyager dans le monde : Australie, Antarctique, Asie… lui qui se sentait si seul et qui n’avait jamais quitté son village ; son plus jeune fils les lui ramenait de la ville à chaque fugace visite qu’il attendait avec impatience… La vieille les avait brûlées dans le four à terre cuite afin de lui brûler son cœur en même temps. Elle avait tellement ri ce jour-là ! Il s’en souvient comme si c’était hier…
Cette femme était d’une méchanceté incroyable, elle était petite de taille, le corps desséché par le feu de sa haine envers le monde… En effet, elle n’aimait personne ; pas même ses enfants qu’elle violentait depuis leur tendre enfance. Son seul et unique amour était l’argent, ses mains crochues l’attrapaient et le fourraient dans sa poitrine comme pour le déposer sur ce cœur qui l’aimait tant. Ses enfants venaient lui déposer son dû (comme elle disait) mensuellement et n’avaient pas intérêt à ramener leurs progénitures si tapageuses et mangeuses de son bien ! Ainsi Saber ne pouvait voir ses petits-enfants qu’il adorait…..Lui-même était dépouillé dès son arrivée du marché. Après qu’il ait arrêté de travailler les cris fusèrent dans la maisonnée :
” Tu ne me sers plus à rien ! Si tu ne travailles pas, tu n’auras rien à te mettre sous la dent ! Je te le jure par les saints qui entourent la région! Tu devrais plutôt mourir ! Que je me repose enfin !»
Mais Saber (qui veut dire patient en arabe) ne disait rien, levait les yeux au ciel, scrutant la bonté du divin qu’il aimait plus que tout … De plus, il n’allait jamais mourir de faim !
En effet, Saber possédait une biquette noire qu’il appelait “haloub”(qui a beaucoup de lait), très tôt il allait la traire et se gavait de cet élixir de tendresse en grignotant quelques figues sèches en haut de la grange…Il était rassasié pour la journée ! La vieille étant superstitieuse ne pouvait l’approcher. Une chèvre noire est un démon. Elle s’occupait du reste : des poules, des dindons, et de la vache. Ils vivaient séparés dans la même demeure depuis des années, chacun pour soi ! Mais Saber ne disait rien, subissait les colères continuelles de son épouse et les injures…
“Il ne pouvait pas la frapper ! On ne frappe pas une femme ! Même comme celle-là ! Il DEVAIT rester patient, Dieu sait tout…et puis maintenant, il n’était plus seul…”
C’est ce qu’il racontait à son panier…
Mais un jour, le plus sombre pour le pauvre Saber, alors qu’il entra dans sa grange pour déjeuner, il ne trouva plus sa biquette ! Même les figues séchées accrochées en haut de la planche avaient disparues… Plus rien !
La vieille femme avait donné la chèvre ” démoniaque “à un sorcier de sa connaissance pour un sacrifice qu’elle voulait pour elle ; elle demanda en retour : une bonne santé et longue vie. Ayant enfin accès à la grange, elle avait pu s’emparer des figues.
Un long silence envahit l’espace désolé … Une sueur glaciale le prit et dégoulinait dans son dos, ses mains tremblaient, sa bouche se raffermit, son regard (si doux) se mît à percer l’horizon comme pour échapper à ses pensées, son cœur battait comme un fou, sa tête bouillonnait…Il marmonna quelques mots confus et pris la route vers la forêt. À peine arrivé au bord de la clairière, il fut pris par un vent mêlé de poussière et de cendres ! Un feu dévorait sa forêt ! “Mon Dieu ! S’écria –t- il, mon panier ! Mon ami !”
Il se rua vers l’endroit où il se sentait tellement bien ! Là, des dizaines d’hommes et de femmes du village étaient présents pour éteindre les flammes qui ne faisaient que s’étendre ; des seaux, des pelles, des cris, et le crépitement des branches sous les mâchoires de la bête immonde qu’était ce feu, offraient un concert de terreur au pauvre Saber qui tournait au milieu d’eux en cherchant son panier. Il tâtonnait de ses mains et de ses tripes tout ce qui restait du carnage. Il réussit à attraper son trésor, mais là, au moment où il voulut le tirer vers lui, le panier semblait être rempli de quelque chose de très lourd… Il tira plus fort jusqu’à ce que la douleur lui pinça le bras, et l’arrêta.
« Mais qu’est-ce donc ?!!?? Qu’a- t- on mis dans mon panier ?!! Se disait-il foudroyé, qui est venu ici ?!!? » Il n’avait jamais pensé à le bouger … Le feu fut enfin vaincu et les villageois ivres de fatigue prirent le sentier du retour sans se préoccuper du pauvre Saber assis au milieu du désastre… Il passa la nuit près de son panier, même la faim ne le dérangea pas, ni l’air glacé mêlé à la fumée … mais une voix le réveilla, elle lui dit :
“Vide ton panier, tu dois m’entendre ! Fais comme cette forêt, renaît de tes cendres ! Ouvre tes yeux, ton âme et ton cœurTu verras le ciel bleu et trouveras ton bonheur !!!”
Pris de panique, il se leva, regarda autour de lui… rien ! Personne ! Était-il devenu fou ? Il répétait les mots de la voix et essayait de les comprendre … Ouvra les yeux bien grands, et jeta un œil dans le panier
surprise!
Il était plein de pierres multicolores, de différentes tailles, il y posa sa main, attendit un moment et commença à faire bouger ces cailloux mystérieux … Il entendit des pleurs, des gémissements, de la douleur ; et plus il les touchait plus le son montait dans cette forêt au milieu de la nuit ! Il fut pris d’une angoisse terrible. Toutes ses plaintes étaient devenues solides, palpables… C’est donc un panier magique !?
Mais que faire à présent ? La voix lui avait dit de vider son panier …Il prit son courage à deux mains, renversa le panier dont les pierres dégringolèrent dans un vacarme insoutenable, et lui, criait, pleurait à en perdre la raison ….
Et là, quelque chose d’incroyable se passa… À peine touchaient-elles le sol humide, les pierres hurlantes se transformaient en un liquide gluant qui fondait comme par magie et imbibait la terre qui l’avalait goulûment. Il faisait sombre et Saber avait donc du mal à voir cette chose qui s’étalait et recouvrait tout l’espace en quelques minutes…
Quand il ne resta plus de pierres, il se figea, choqué par ce qu’il venait de voir, puis se leva et s’empara du panier.
Il est léger maintenant !!!! Il est vide?!! Il décida de rentrer à la maison avec son protecteur et de le défendre à tout prix.
Arrivé, éreinté, secoué par tant d’émotions, il s’endormi dans la grange, là où dormait sa chèvre, il y sentait le bon lait qu’il aimait tant ….
Le panier était caché à l’autre bout de la grange. Quand soudain !….. Un cri strident vint lui percer les tympans et lui glacer le sang. Il reconnût aussitôt sa femme, en pleine crise, il sortit en courant, elle était là avec des pierres dans son tablier à gesticuler, alertant tout le voisinage. Tout le monde regardait en haut du toit où se perchait une chouette immobile qui ne semblait pas être concernée par le brouhaha ambiant…
Il s’approcha et la fixa du regard : elle le regardait aussi, Saber avait l’impression qu’elle lui souriait, mais ses yeux ! Magnifiques ! On aurait dit des émeraudes ! En une fraction de seconde il s’y plongea et y nagea dans l’infinité qu’elle lui offrait. La vieille, ne pouvant déloger le volatile, lançait des pierres en criant :
«Tu veux me tuer oiseau de malheur ! Pourquoi appelles-tu la mort ! Que la malédiction soit sur toi !”
Elle dévala le mur de la maison telle une tarentule avec une agilité poussée par la rage qui la prenait…
Saber, lui était fasciné par cette créature, continuait à la regarder en souriant sous le regard étonné des voisins …. Un bruit sourd se fit entendre, c’était la vieille femme qui venait de s’écrouler à terre comme un sac de malheurs.
L’épouse de Saber n’est plus. Elle fût tuée sur le coup, il s’approcha, suivit des spectateurs présents dès le début, qui marchaient derrière lui comme des zombies, elle était bel et bien morte.
Saber prit son panier et y installa le cadavre craquelant qui bougeait dans ses mains comme une marionnette, pour la monter dans sa chambre… Les femmes préparèrent la toilette mortuaire, et on fit venir ses enfants pour les funérailles qui se transformèrent en fête du village ! Chacun sa besogne : celles qui préparent les repas, celles qui font du pain, les hommes égorgèrent une génisse pour Saber et ses convives … Tous ses petits enfants étaient là ! Quel bonheur ! Que de joie !
La maison ne se vida pas pendant des semaines. Mais après les quarante jours de « deuil », il se retrouva seul … Lui et son panier qu’il avait installé au milieu du salon …. Il décida alors de se remarier… Mais qui donc allait-il épouser ? Il ne faut pas qu’il retombe dans le même piège… Il lui faut une femme qui puisse l’aimer le peu de temps qu’il lui reste dans la piété et la modestie de sa situation …. Il se mit à penser à son panier, ses aventures dans la forêt, à la voix qui le guida cette nuit-là…”ouvrir les yeux, l’âme et le cœur …” Avait elle dit …
Il réunit ses enfants et leur parla longuement … Pourquoi le panier ? Il avait des oreilles toutes prêtes à l’écouter et le conseiller!!!
Ses deux fils lui dirent d’épouser la veuve de son meilleur ami et d’avoir la chance d’élever ses deux orphelins et de garantir : rires, et bonne humeur dans la triste demeure… Et ce fut fait.
Et c’est ainsi que Saber vécut heureux jusqu’à la fin de ses jours.
Vous me demanderez et …Le panier ???!??
Il l’utilise pour ses courses !